On la reconnaît par sa haute tige, dressée, piquetée de fleurs jaunes, et par ses grandes feuilles duveteuses. Son nom vient peut-être du mot latin ‘mollis’=molle, souple. Elle est du genre ‘verbascum’, qui viendrait d’une déformation du latin ‘barbascum’ et qui signifie ‘barbue’. La Barbue… avec son épais duvet de poils, si doux. On dit d’ailleurs que c’est le plus luxe et le plus soft de tous les papiers de toilette naturels. La pilosité des plantes est souvent comparée à du velours, on a envie de toucher leurs poils, de les caresser, de dormir dessus. Plutôt que de les arracher à la cire ou à l’épileuse électrique.
C’est une plante du chaud, elle aime les sols secs et filtrants, sablonneux, caillouteux. Solidement accrochée à sa racine, elle danse avec le soleil tout en se battant contre la sécheresse. Une fois que tu sais la repérer, tu la vois partout, jusque dans les coins les plus improbables. Entre deux pavés, au milieu des gravats d’un terrain vague, sur le bord de la route, là où rien ne pousse. Elle a inventé un système ingénieux pour se protéger, grâce à ses poils qui capturent l’air pour en faire une couverture, un cocon contre le monde extérieur. Il paraît qu’il n’y a que les papillons de nuit qui osent brouter ses feuilles argentées…
C’est une plante médicinale, si ancienne, depuis longtemps connue sous le nom de ‘Bouillon blanc’. On l’appelle aussi Fleur Grand Chandelier, Flannel leaf (Feuille de flanelle), Candlewick plant (l’Herbe à Mèche-à-bougies), Bâton de Jupiter, Oreille de loup, Tabac du diable, mais encore Cierge maudit ou… Cierge des sorcières (en anglais, Hag’s taper, mais ça pourrait aussi venir de Hage/Heage/Hedge’taper, le Cierge des Haies). On peut alors la voir comme une immense bougie sauvage… Il fût un temps, avant l’utilisation du coton, où l’on cueillait sa hampe, on la séchait, et on l’enduisait de suif, de cire ou de poix pour la brûler comme une torche. Le duvet de ses feuilles fait un très bon amadou (un allume-feu naturel, comme le champignon de l’amadouvier), il s’enflamme à la moindre étincelle. Ensuite, la combustion est lente, constante, et dégage une odeur incroyable, dit-on. Confectionnées avec amour et attention, ces flambeaux de fleurs étaient pratiques pour éclairer des cérémonies en plein air, en particulier les nuits de nouvelle lune. ‘Cierges maudits’ que les grands Inquisiteurs de l’ordre patriarcal auraient volontiers utilisés pour allumer leurs bûchers, on se réjouit quant à nous de savoir que ces torches ont permis aux sorcières de se renforcer entre elles.
Wow. Bien sûr que ça nous parle.
Les poils, ça nous parle. Les pratiques de sorcières, ça nous parle. Les escapades collectives sous la lune, ça nous parle. Les mythes, les malédictions, et leur histoire millénaire, ça nous parle. La recherche permanente de stratégies de défense, ça nous parle. Les cocons douillets contre la violence du monde, ça nous parle.
La survie au milieu du désert, ça nous parle.
La résistance profonde, racinaire, radicale… ça nous parle.
Foutre le feu, ça nous parle.
Le jour où on cherchait un nom pour notre bibliothèque, assis.e.x au soleil dans le jardin suspendu au-dessus des rails, il y avait une molène qui nous écoutait, plantée là juste dans notre dos. Quand on l’a remarquée, on a eu l’idée de nous faire ses complices.
usages phytothérapeutiques
Les fleurs du bouillon blanc donnent un goût fruité – de pommes séchées – aux infusions, et une couleur dorée aux limonades et aux eaux-de-vie. On a appris aussi que les fleurs de la molène fausse-blattaire (verbascum virgatum) sécrètent une ‘barbe’ sucrée qui rappelle la barbe-à-papa. N’empêche, il semble que certaines variétés soient quand même légèrement toxiques, narcotiques.
On a lu quelque part qu’au moyen-âge, on utilisait son suc pour soigner la goutte. On peut la boire en tisane (mais il faut filtrer les petits poils, qui sont irritants), l’appliquer en pommade sur la peau pour l’adoucir, la transformer en huile essentielle ou en teinture, frotter ses feuilles sous les aisselles, parfumer une liqueur, ou la fumer – paraît-il. Anti-diarrhéique, antispasmodique, antitussive, émolliente, expectorante, on l’utilise surtout pour soigner les problèmes respiratoires, les toux sèches, l’asthme, les bronchites, et elle est un ingrédient essentiel dans les gouttes contre les infections des oreilles.